leave your mark (adelaide)

Tu te souviens la première fois que tu as passé le pas de la porte de ce shop. T'es venue avec l'assurance d'une lionne quand en vérité, tu n'étais absolument pas sûre de tes choix. Tu lui as demandé mille fois, à la petite brune qui travaillait là, si ça allait faire mal, si c'était un bon choix de tatouage, un bon choix d'endroit. Tu lui as posé toutes les questions possibles et imaginables. Puis tu es partie. Pour mieux revenir la semaine suivante et lui reposer encore d'autres questions sur les infections possibles, sur les soins à faire après le tatouage. Puis t'es partie. Pour encore mieux revenir la semaine d'après. Tu n'avais plus de question. Enfin, si, juste une seule : Quand est-ce qu'elle était libre pour te tatouer ? Voilà, c'était fait, tu allais te jeter dans le large. Une petite étoile derrière l'oreille gauche. C'était tout. C'était simple. Ça te rappelait vers où tu devais aller : les étoiles, le sommet, le succès.

Et tu es revenue encore et encore pour savoir si tu effectuais bien tes soins, si chaque changement de ta peau était normal. T'as fini par bien la connaître, la petite brune, qui, tu l'as appris plus tard, s'appelle Adelaide. Tu n'irais pas jusqu'à dire que vous êtes vraiment de bonnes amies, mais vous vous entendez bien. Son style de vie te perturbe quelque peu sachant qu'il est à des milliers de kilomètres du tien, mais ça te fait du bien. Adelaide, c'est un peu une bouffée d'air frais dans ta vie polluée. Adelaide, c'est le ralenti dans une scène qui va trop vite. Tu l'aimes bien, au fond.

Aujourd'hui, tu pousses encore la porte de son shop que tu connais par coeur, à force d'y avoir mis les pieds. Ta dernière visite remonte à trois mois à tout casser, tu demandais encore des conseils pour ton tout premier tatouage. C'est différent, t'es en confiance, tu sais à quoi t'attendre, tu sais à qui t'attendre. « Hello, c'est encore moi », que tu annonces, le sourire aux lèvres.

On t'avait prévenue qu'une fois qu'on se faisait tatouer, l'envie revient, encore et encore. Et ça ne s'arrête plus. Tu n'y as pas cru, tu leur as dit que non, c'est juste celui là, un tout petit et c'est fini. Tu as cru être plus intelligente que les autres. Grave erreur parce qu'aujourd'hui, tu es de retour dans ce tattoo shop, le même que lors de ta première visite, il y a cinq mois. Adelaide t'accueille avec le sourire, comme toujours. Elle a un peu l'air de vivre sur une autre planète cette petite, ça te fait bien rire. « Mon tatouage est parfait. Encore merci. » Tu balaies tes cheveux de ton oreille pour lui montrer ton tatouage complètement cicatrisé. Plus de rougeurs, plus de croûtes, plus de peaux mortes. Tu n'imaginais pas que la cicatrisation d'un tatouage soit aussi peu esthétique. Avec les cheveux qui repousse, ça gratte un peu, la peau pèle. Les semaines qui suivent le séance, le tatouage, c'est vraiment pas beau à voir.

Elle tape dans ses mains joyeusement. Elle a l'air illuminé. T'aimerais que ta vie soit aussi simple que celle qu'Adelaide à l'air de mener. Tu ne la connais que très peu, mais elle l'air de vivre simplement. Peut-être que toi aussi, tu devrais y songer. C'est vrai après tout, même Alexander qui est tout aussi fortuné que toi se contente du minimum et lui aussi, il a l'air plus heureux que toi. Tu souris à la brune. « Et bien si, j'aimerai me faire quelque chose d'autre. Peut-être quelque chose de plus gros. » Tu penches la tête sur le côté, en pleine réflexion. « Je t'avoue que je viens sur un coup de tête. » C'est vrai, pour une fois, tu n'as rien planifié d'avance. Tu passais devant le shop en voiture et ayant du temps libre devant toi, tu t'es juste dit pourquoi pas ? La folie du jeudi, apparemment. Ça t'arrive rarement de ne pas prévoir les choses. Tu ne sais pas quelle mouche t'as piquée, mais tu es spontanée aujourd'hui. « Il y a peut-être des dessins que tu aimerais faire, en particulier ? »

A peine as-tu le temps de parler d'une plus grosse pièce que tu vois les yeux d'Adelaide s'illuminer. C'est mignon de la voir comme ça, si passionnée par ce qu'elle fait. T'oublies souvent que si tu as commencé chez Vogue, c'est parce que la mode te plaisait réellement. Les associations de couleurs, de textures, de matières. C'était un monde infini de possibilité, l'ouverture à la créativité. Aujourd'hui, c'est quelque chose que tu oublies souvent entre les réunions hebdomadaires pour savoir ce qui sera publié dans le Vogue du mois prochain. Tu laisses la passion de côté pour te concentrer sur des écrits, sur des photos, sur les couleurs des couvertures et la célébrité qui sera à l'honneur. Ça fait un moment que tu n'as pas été à un défilé de créateur indépendant juste pour le plaisir, par exemple. Tu adores devoir voyager pour le boulot, mais aller voir les défilés de Victoria Secret, après un moment, ça ne tire plus réellement de l'innovation.

Tu vois la jeune femme profondément dans ses pensées, probablement en train de se retourner les méninges pour savoir quoi faire sur toi. C'est amusant de penser que ton corps devient une toile pour un artiste, que ton corps est une oeuvre d'art, en quelque sorte. « Un animal sauvage ? » Tu lèves un sourcil en souriant. « C'est comme ça que tu me vois ? » Si c'est le cas, ça fait plaisir à entendre. C'est bien loin de la façon dont tu te vois, ça c'est clair. En fait, si tu devais décrire ta personnalité en un tatouage, tu aurais plus vu ce loup épuré et géométrique dont elle te parlait.

Le fait que tu sois venue dans un tattoo shop sur un coup de tête commence à s'imprégner. Mais pour qui tu te prends Skylar ? Une aventurière ? Clairement, il faut que tu te calmes, ce n'est pas toi, ça ! Cela ne te ressemble pas. Tu regardes autour de toi, à gauche, à droite. Adelaide à l'air surexcitée à l'idée de pouvoir t'encrer à nouveau. Et toi, tu fais quoi, Skylar ? Tu cherches un échappatoire. Tu ne peux pas. C'est juste au-dessus de tes forces. Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé dans ta tête pour croire que tu pouvais débarquer comme ça et juste te faire tatouer avant de repartir joyeusement vaquer à tes occupations. Tu débloques complètement. Tes mains commencent à devenir moites. T'entends vaguement les paroles de la brune en écho dans ton esprit, mais tu n'arrives pas bien à saisir ce qu'elle te dit. Ta vision se floute. Tu distingues mal ton environnement. Ta respiration s’accélère. Tu fais une crise. Il faut que tu sors. il faut que tu prennes l'air. « Je ... J- » C'est tout ce que t'arrives à articuler. Tu te lèves d'un bond. La pièce tangue. Les larmes te montent aux yeux. T'as l'impression que le monde tourne au ralenti. Tu te rassieds presque aussitôt, en perdant l'équilibre. « J-j-j-j-j- » Tu essaies encore une fois de communiquer. Tu voudrais lui dire, à la tatoueuse, que t'as besoin d'air frais, que t'as besoin de sortir de là. Mais tu peux pas, y a rien qui sort. Tu manques d'air, t'étouffes.